13.2.10

Exemple de sacrifice d'un bien singulier au bien commun : Lawrence Oats

Lors de l'expédition malheureuse de Scott au Pôle Sud en 1912, au retour du Pole Sud tous les cinq hommes de cette expéditions sont morts de froid, de faim et d'épuisement. Il s'agissait du chef : Robert Falcon Scott, de Edward Wilson, Henry Bowers, Lawrence Oates, et Edgar Evans.

On connaît le récit des derniers jours par le journal laissé par Scott et dont les derniers mots sont

"C'est lamentable, mais je ne crois pas pouvoir en écrire davantage."

Ce journal fut retrouvé quelques mois plus tard dans la tente des trois derniers à avoir vécu Scott, Wilson et Bowers.

Initialement, ils ne devaient être que quatre, mais au dernier moment, Scott prend la décision de soustraire Bowers du groupe de soutien qui devait rester au bâteau pour l'adjoindre au groupe d'exécution, ce qui signifiait plus d'aide, mais moins de vivres pour chacun... Le chef doit être le plus prudent...

Lors du voyage retour, Evans meurt le 17 février. Le 15 mars à une étape,

"en plein blizzard Lauwrence Oates quitte la tente, disant "Je sors ; je resterai dehors quelque temps."

Oates savait qu'il allait mourir. Il se sacrifiait pour ses trois compagnons survivants (une bouche de moins à nourrir).

Son sacrifice fut inutile puisque à la fin tous finirent pas mourir et leur corps furent retrouvés en octobre (1) suivant.

Dès lors j'entends l'abbé Laguérie me dire : " - Oates s'est sacrifié au bien commun. Il s'est sacrifié pour un bien qui le dépassait et qui n'était pas commun puisqu'il est mort pour que les autres vivent pour lui le bien commun, c'était le mal personnel." Et j'ajouterais "donc le bien commun, n'est pas commun." Et aussi le "bien commun" de l'abbé Laguérie ressemble au bien commun tel que le conçoivent les communistes une sorte de léviathan qui annihile le bien propre.

Le sacrifice de Oates a été inutile, c'est pourquoi son sacrifice est encore meilleur, sous l'angle de la pureté que s'il avait été utile. Certes, s'il avait su d'avance que son sacrifice était inutile, cela aurait illicite puisqu'il n'y aurait eu aucun mobile valable à la mise en danger de sa vie. Mais le fait de l'inutilité finale rend la bonté du sacrifice plus pure, l'épure de l'utilité et fait ressortir le caractère gratuit et commun du bien.

L'utile est un bien cherché en vue d'un bien conçu comme fin, Oates se sacrifiait pour que ses compagnons vivent. Mais de fait de l'échec, il reste plus que la bonté du geste d'amour fraternel par ailleurs inutile.

Dans ce geste d'amour gratuit, entièrement gratuit et désintéressé, il y a la communion au bien de l'héroïsme. Ce n'est pas contre son bien propre qu'il est devenu un héros, c'est en sacrifiant un bien propre et singulier (sa vie physique) en y préférant un bien qui est le témoignage d'amour fraternel bien plus estimable que son bien propre singulier parce qu'il est transcendant, il ouvre sur quelque chose qui n'est pas de ce monde.

Pour comprendre cela il faut se libérer du libéralisme, du darwinisme et du matérialisme.

En s'appropriant la solidarité, il a accompli sa propre vocation qui est d'être pour et d'être avec. En raffermissant les liens qui l'unissaient à ses amis, il s'est libéré de l 'amour désordonné de lui-même, il en reçoit une "dignité supérieure" (2) qui est son bien propre, mais d'un autre ordre.

C'est en quoi le geste de Oates ordonné à l'amour de ses frères, geste dont il recevait une plus grande dignité était un bien pour lui, il était aussi un bien commun aux autres, mais un bien d'un ordre inférieur (survivre ici-bas). Oates réalise dans son sacrifice que l'homme est un être pour, libre et raisonnable.

(1) Les éléments du récit sont tirés de "Pôle Sud" par Paul-Emile Victor Hachette 1958.
(2) Charles De Koninck "De la primauté du bien commun contre les personnalistes"

Mise à jour du 28 mars 2013 : relisant ce post, je veux ajouter que De Koninck se trompait lorsqu'il critiquait les personnalistes. La personne a une destinée transcendante. Elle a en conséquence des droits qui lui sont attribuées par la nature du fait de sa destinée. Ces droits font partie du bien commun. Il ne faut donc pas lire Charles De Koninck sans garder à l'esprit cette erreur de notre auteur. De Koninck a cependant le mérite de souligner que notre bien, est commun à tous.  C'est l'immense mérite de ce texte. Mais le bien commun l'est comme les droits de l'homme, bien commun de l'humanité. D'autre part, le bien commun a un aspect historique et dynamique que De Koninck semble ignorer (le bien commun est toujours à instaurer, toujours à restaurer ici et maintenant, il ne faut pas l'imaginer comme statique, gelé, à la façon des écrivains socialistes ou utopistes).


Post mis à jour le 16 septembre 2013, après que j'ai remis en cause les théories de De Koninck (sauf sur la communauté du bien). De Koninck ne distingue pas, si mes souvenirs sont bons, l'ordre des biens. L'ordre de la charité dépasse l'ordre de la justice, du bien commun. Or Pascal écrit : « 308-793 La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle. » (édition de Port Royal) Le bien commun politique est infiniment dépassé par le bien de la charité fraternelle.

Mise à jour du 17 septembre 2013 à 9 heures 17 :

Relisant le titre, je pense qu'il aurait été plus exact de titrer différemment. Pour un bien transcendant commun, qui n'est pas de ce monde, Oats renonçait au bien commun qui est le droit à la vie pour tous. Je propose ce nouveau titre : « Exemple de sacrifice d'un bien commun naturel pour un bien commun surnaturel. »

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