13.9.12

Essai de résolution du conflit apparent des papes sur la « liberté de conscience »



Mirari vos (1832) de Grégoire XVI, pape de 1841 à 1846 condamne la liberté de conscience :


« De cette source empoisonnée de l'indifférentisme, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu'on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l'Église et de l'État, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d'impudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. »

La "liberté de conscience" condamnée par Grégoire XVI est celle qui découle de l'indifférentisme, doctrine philosophique qui prétend rester indifférente à la foi professée. Il condamne la liberté "absolue et sans frein", mais non la liberté en soi. Aujourd'hui encore la doctrine des droits de l'homme commande que certains opinions contraires à l'ordre public soient interdites (incitations à la haine surtout).

Comment Jean-Paul II peut-il dire aux avocats réunis en congrès à Rome en 1991 :

« Il faut avoir le courage d’accepter cette notion de la liberté de conscience et de religion; elle n’est pas une faveur qu’octroient les gouvernements; elle ne se réduit pas non plus à la possibilité d’accomplir des rites; elle est le droit de chaque homme d’exprimer au niveau social ce qu’il a de plus profond en lui et de ne pas avoir à souffrir de dommages ou de désagréments pour cela. Si ce droit était universellement reconnu comme un principe régulateur des relations sociales, les confrontations entre diverses conceptions du monde - religieuses, athées ou agnostiques - demeureraient loyales et paisibles. Le respect égal des croyances est l’un des piliers des sociétés démocratiques contemporaines, et sa mise en œuvre témoigne d’un progrès vers un plus grand respect des droits de l’homme dans leur ensemble. »

Pourquoi ce changement ? Jean-Paul II, qui a donné une définition de la conscience, l'explique :

« Alors qu’autrefois les groupements humains se caractérisaient par leur unité de religion et faisaient preuve de plus ou moins de tolérance à l’égard des minorités religieuses, on connaît aujourd’hui une grande diversité des religions parmi les habitants d’un même territoire, voire dans une même famille. La paix civile demande d’accorder à chacun la même liberté qu’à tous les autres. »

C'est donc la paix civile qui commande le respect de la liberté de conscience. Ce n'est pas une option philosophique individuelle, mais une nécessité de l'ordre social, donc juridique. Comme autrefois la liberté de conscience la liberté religieuse des peuples leur permettaient de s'organiser autour d'une croyance (sans jamais enfreindre l'ordre public juste), aujourd'hui la nécessité demande de s'organiser autour d'un ordre public juste qui comprend la liberté religieuse et la liberté de conscience, alors même que la société s'organise laïquement (ce qui est juridiquement licite, même si c'est moralement condamnable).

Est-ce de l'indifférentisme pratique ?

Non répond Dignitatis humanæ :

« Or, puisque la liberté religieuse, que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu, concerne l’exemption de contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. »

L'expression « société civile » semble être employée au sens large et désigner l'ensemble de la société politique et civile. (Alors que au sens étroit l'expression "société civile" ne désigne que la société extra-familiale et extra-politique, soit la société professionnelle, religieuse, de loisir etc.) En revanche au plan moral, il est certain que les sociétés (y compris les sociétés politiques) et les individus doivent adhérer à la vraie religion, à la vraie foi et à l'Eglise. Mais ce plan moral ne peut se traduire par aucune contrainte juridique (comme d'ailleurs dans les anciennes sociétés il n'aurait dû y avoir aucun baptême obligatoire si les hommes avaient été fidèles à la doctrine qu'ils professaient). Seule la morale rationnelle des droits de l'homme, fondée sur la vérité universelle de l'homme peut et doit être contraignante.

Il n'y a donc pas contradiction entre la doctrine de Grégoire XVI et celle de Jean-Paul II. Celle du second bénéficie d'un recul. Cela lui a permis de distinguer ce qu'il y avait de possible dans l'organisation ancienne de la société et ce sur quoi était fondée cette possibilité qui ne condamnait, il est très important de le noter, qu'une liberté "absolue et sans frein" et non la "liberté" en général.

En conséquence de la conciliation de ces deux doctrines, ou plutôt de ces deux domaines doctrinaux, il est parfaitement licite dans l'ordre public juste de défendre les droits de la conscience catholique dans la société politique, de lutter pour le règne du Christ, car ni la conscience catholique, ni le règne du Christ ne s'opposent aux droits universels de l'homme qu'au contraire ils défendent, comme ils l'ont toujours défendu en doctrine et auraient dû le faire en pratique.

En ce sens les questions soulevées par les Lumières ont été l'occasion de progrès moraux et juridiques importants représentés par les doctrines des papes récents qui en répondant aux philosophes des Lumières ont tiré de leur trésor, du vieux dont ils ont fait du neuf. 

En pratique en effet, la société française catholique a admis, ou toléré l'esclavage, admis les baptêmes à l'initiative de l'Etat (voir le "Code noir"). Les Papes imposaient aux juifs de leurs Etats des cours de catéchisme. C'est pourquoi la révolution montinienne dans l'Eglise avait des fondements valables et n'a consisté qu'à réformer ce qui était mauvais à partir de principes anciens, mais inaperçus. C'est pourquoi Paul VI a dit justement que l'Eglise devait veiller à ne pas donner l'impression de collaborer avec des régimes ne respectant les droits de l'homme ou pratiquant le colonialisme.

Comme souvent cependant, c'est lorsque l'on vient d'échapper à un danger que l'on tombe facilement dans un autre et c'est lorsque l'on critique un adversaire (ici, des générations éteintes) qu'on est en danger de l'imiter. Cela a été le cas de Paul VI, notamment dans l'affaire du rite de la messe. J'y reviendrai, si Dieu veut.

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