20.8.15

Le bien commun est propre, sinon il n'est pas commun

Il est idiot d'opposer le bien commun au bien propre, du moins si l'on prend "propre" au sens de qui appartient à, car le bien commun est le bien de chacun, il appartient à chacun et à tous. Un bien commun qui ne serait pas propre ne serait plus un bien commun, mais le bien de certains et de pas d'autres (donc pas communs).

« Or, quand nous distinguons le bien commun du bien particulier, nous n’entendons pas par là qu’il n’est pas le bien des particuliers : s’il n’était pas le bien des particuliers, il ne serait pas vraiment commun. » (De Koninck)
"Pas vraiment" ? Je rectifie: "pas du tout". Le bien commun est le bien de tous, sinon il n'est plus commun.

Boire un grand cru, c'est un bien qui ne se partage pas. Posséder un bijou de grand prix, c'est un bien exclusif (il exclut les autres).  Ils sont des biens exclusivement particuliers, il ne sont pas communs.

Le bien commun est nécessairement un bien abstrait, immatériel. C'est pourquoi, plus il est partagé plus il accroît le bien de chacun et le bien de tous. Ce bien c'est la vérité, la justice, les droits de l'homme, la liberté, l'égalité et la fraternité. Mais ces biens sont des biens propres à chacun. Sinon ce ne sont même pas des biens propres (ce n'est pas mon bien que la liberté religieuse de mon prochain ne soit pas respectée).

Groupe statuaire: apparition de la Sainte-Vierge à Benoîte Rencurel (en présence de la chèvre de Benoîte). La liberté religieuse est un bien commun qui est propre à chacun. Si un seul groupe bénéficie de cette liberté, ce n'est plus un bien commun et ce n'est plus la liberté pour personne, même pas pour le tyran. (Voir l'article 30 de la Déclaration universelle)


Vivre dans le mensonge, c'est vivre dans le mal commun. Le mensonge avilit celui qui le profère, il fait aussi du mal à celui qu'il trompe. En revanche vivre dans la vérité fait grandir à la fois celui qui dit la vérité et celui qui apprend. La vérité est donc un bien commun et en cela nécessairement particulier.

Un silo à blé n'est pas un bien commun en ce sens que seule sa consommation donne sa valeur au blé. Et la consommation ne peut être qu'individuelle et exclusive. En revanche réfléchir dans la vérité à comment répartir justement l'usage du blé contenu dans le silo est un bien commun. Ainsi choisir au risque de sa vie de ne pas consommer le blé pour faire vivre les jeunes, c'est un bien commun y compris à celui qui se sacrifie parce que l'amour vaut mieux que vivre égoïstement.

Ainsi Éléazar donne-t-il l'exemple de ce qu'est le bien commun (ne pas donner un mauvais exemple aux jeunes et en quoi il est supérieur au bien personnel de vivre de la vie d'ici-bas):

« I M 6,18. Éléazar, l'un des premiers des scribes, homme avancé en âge et beau de visage, fut pressé de manger de la chair de pourceau, la bouche ouverte par force.
II M 6,19. Mais lui, préférant une mort pleine de gloire à une vie criminelle, marchait volontairement au supplice.
II M 6,20. Considérant ce qu'il lui faudrait souffrir, et endurant avec patience, il résolut de ne rien faire d'illicite par amour pour la vie.
II M 6,21. Ceux qui étaient présents, touchés d'une compassion coupable, à cause de l'ancienne amitié qu'ils avaient pour lui, le prirent à part, et le priaient de faire apporter les viandes dont il lui était permis de manger, pour feindre d'avoir mangé des viandes du sacrifice, comme le roi l'avait ordonné,
II M 6,22. afin que par cet acte, il fût sauvé de la mort; ils usaient donc de cette humanité à son égard, à cause de leur ancienne amitié pour lui.
II M 6,23. Mais lui, il commença à considérer la haute dignité de son âge et de sa vieillesse, les cheveux blancs qui accompagnaient sa noblesse naturelle, et les actes de sa vie sans tache depuis son enfance, et, selon les ordonnances de la loi sainte établie par Dieu, il répondit aussitôt en disant qu'il voulait être envoyé dans le séjour des morts.
II M 6,24. Car il n'est pas digne de notre âge, dit-il, d'user d'une fiction qui serait cause que beaucoup de jeunes gens, s'imaginant qu'Éléazar, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, aurait passé à la manière de vivre des païens,
II M 6,25. seraient eux-mêmes trompés par cette feinte, dont j'aurais usé pour un petit reste de cette vie corruptible, et l'attirerais par là la honte et l'exécration sur ma vieillesse.
II M 6,26. Car, alors même que j'échapperais présentement aux supplices des hommes, je ne pourrais néanmoins fuir la main du Tout-Puissant, ni pendant ma vie ni après ma mort.
II M 6,27. C'est pourquoi, en quittant courageusement la vie, je paraîtrai digne de la vieillesse; »
Deuxième livre des Macchabées,

De fait Éléazar (fête au 1er août) fut martyrisé à l'âge de 90 ans parce qu'il ne voulut pas trahir, même simplement en apparence, la foi de ses pères.

Il ne sacrifia pas son bien au bien commun mais il considéra que le bien commun (vérité, liberté religieuse, amour du prochain et de la cité dont les jeunes sont l'avenir) auquel il participait personnellement était supérieur au bien de vivre de cette vie mortelle, inexorablement mortelle. Il ordonnait en lui la valeur de ses biens propres dont le bien commun faisait partie. Ce n'est donc pas directement parce qu'il est commun, mais parce que c'est un bien supérieur de vivre dans la vérité et dans la liberté et pour l'amour du prochain, plutôt que de vivre dans le mensonge et l'esclavage du mensonge, de l'égoïsme et du péché, qu'il choisit de risquer la mort. Il n'y a donc pas opposition inconciliable entre bien commun et bien particulier mais hiérarchie et accord profond dans chaque individu. Il appliquait cette sentence: "le bien commun est le meilleur des biens propres". Alors que vivre, mais dans l'opprobre, aurait introduit un divorce dans son âme, risquer de mourir unifiait celle-ci à sa vocation de vivre en homme. Nouvelle preuve que l'homme est un animal naturellement et nécessairement social et que le cartésianisme, Hobbes et tous les auteurs qui s'en sont inspirés ont fait fausse route.

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